Chant pluriel by Philippe Muray

Chant pluriel by Philippe Muray

Auteur:Philippe Muray [Muray, Philippe]
La langue: fra
Format: epub
Publié: 0101-01-01T00:00:00+00:00


Ce qui évidemment peut s’écrire encore de plusieurs autres façons sans perdre du tout son sens. Ainsi stigmatisé, démarqué, le H.L.M. verdit, blêmit dans sa rage. Les oiseaux s’envolent. Silence.

Mes apôtres alors se prennent par la main, forment la ronde.

« Il va mourir le grand méchant.

Il va tomber le grand vilain.

Il va plonger le grand sournois.

Il va succomber le grand fauve.

S’il dansait, s’il dansait comme nous,

Il pourrait, pourrait se défendre contre nous.

Mais il ne sait pas, il ne danse pas.

Il est prisonnier, et nous, nous dansons. »

Ensuite, tout commence à se dérouler très vite. Mes bons apôtres se pressent sur la face nord du H.L.M. En l’endroit magique où Espérance a inscrit : Endroit qui est devenu la pierre vulnérable de l’édifice, celle que, dans les tombeaux bourrés de trésors, dans les pyramides et les souterrains, on cherche et on pousse — cet endroit où est le signe, où est la croix, cet endroit où il faut frapper comme entre les deux yeux de la bête, cet endroit où il faut appuyer de toutes ses forces.

101. Ici, je (foule) aimerais qu’on ne s’extasie ni ne s’irrite — selon les intéressantes divergences psychologiques de chacun de mes auditeurs — en criant au symbole idiot ou au symbole illuminant. J’aimerais préciser qu’Espérance, Augustin, le garçon aux cheveux or et les autres POUSSENT réellement l’édifice — et que, si l’édifice ne bouge pas, ce n’est vraiment pas leur faute.

102. Il tremble pourtant un tout petit peu. Au cinquième étage, cuisine blanche, placards encastrés qui ferment dans un claquement de castagnette aimant, un cul de casserole reflète la silhouette d’une mère de famille. Cette dernière est en train de faire chauffer le biberon du nouveau-né. A l’instant où Espérance, Augustin, le garçon aux cheveux blonds et les autres poussent le H.L.M., le biberon tremble soudain et oscille au beau milieu de l’eau tiédie.

Huitième étage. Salle de séjour. Petite table basse en plastique fumé. Un vieil homme regarde, immobile, assis, l’horloge qui s’étale sur l’écran télé. L’aiguille des secondes tourne parfaitement. Bercé par la noria, le vieil homme va s’endormir. Mais soudain, à l’instant où Espérance, Augustin, le garçon blond et les autres poussent l’immeuble, l’écran se brouille et le vieil homme se réveille en jurant.

Mais ça ne suffit pas. En bas, dans la boue, s’exaspère la colère de mes bons apôtres. Cent fois ils reculent pour se rejeter, tête la première, contre le mur immense. Cent fois le béton les repousse. Leur rage qui grandit boursouffle leurs visages. Ils ont du sang et de la cervelle fraîche le long du front. Certains déjà gisent évanouis. Certains déjà gisent morts. Ma troupe s’éclaircit dans ce supplice de Tantale. Sous les mots écrits par Espérance, dans le grain de ciment, s’incrustent des rigoles d’épiderme tanné. Les immeubles ne bougent pas. Ils sont enracinés profond. Ils se moquent bien de telles attaques. Les immeubles ne bougeront jamais.

« Partons, dit Espérance, couverte de bave rose. Il est inutile de s’acharner contre eux. Seule l’apparence combat salutairement l’apparence, et l’illusion l’illusion.



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